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« La fatigabilité représente un obstacle au travail »

En 2015, le fils de Carole Mauron est victime d’un traumatisme cranio-cérébral sévère suite à un accident de quad, à Chypre. Grâce au soutien de professionnel·le·s en neuroréhabilitation, sa mère et lui fondent l’Association 2015, un atelier permettant aux personnes avec des séquelles cognitives acquises de travailler dans un environnement adapté à leurs besoins.

En 2015, le fils de Carole Mauron est victime d’un traumatisme cranio-cérébral sévère suite à un accident de quad, à Chypre. Grâce au soutien de professionnel·le·s en…

Diego et Carole se tenant dos à dos

Photographie : Valérie Baeriswyl

Diego Collaud n’a aucun souvenir de son accident de quad à Chypre et de ses huit mois de coma suite à son rapatriement par la Rega en Suisse. Âgé de 24 ans, il séjourne durant deux ans et demi dans différents établissements médicaux, dont certains ne sont pas adaptés à sa situation. Le corps médical pense que son état ne va jamais s’améliorer. Mais Damien et Carole, ses parents, et Malvina, sa soeur, refusent de s’y résigner. « Seul un neurologue, le professeur Annoni, nous a donné du courage et la force d’y croire. Il est aujourd’hui le parrain de notre association, car il a été un pilier dans notre parcours », déclare Carole. La famille de Diego s’organise pour lui rendre visite tous les jours. Un jour, Malvina, bouleversée, appelle Carole. « Il lui avait fait un doigt d’honneur », sourit-elle. « C’était la façon que Diego a trouvée pour nous montrer qu’il était encore là, car sa soeur et lui s’en faisaient tout le temps avant l’accident. » Auparavant, quand Diego serrait la main de ses proches, le corps médical leur disait qu’il n’était pas éveillé mais qu’il s’agissait de réflexes de vigilance et de sursauts. Malvina ajoute : « Maman, ce n’est pas un réflexe là, on est d’accord ! »

À la fin de l’année 2017 et plus de deux ans après son accident, la famille de Diego décide de le faire rentrer à la maison. « Nous débutons alors un deuxième très long chemin », confie Carole. Sa famille lui aménage une chambre avec une salle de bain attenante. À son arrivée, les premiers mots de Diego sont : « Je me sens bien ici. » Sa mère se souvient : « Dès son retour à la maison, son état s’est énormément amélioré. C’était extraordinaire de voir les progrès qu’il faisait. La puissance du cerveau est inexplicable. »
 

Un nouveau quotidien

À l’époque, Diego a un Certificat fédéral de capacité (CFC) d’agriculteur et travaille durant quelques mois dans une exploitation agricole, au Canada. De retour en Suisse, il travaille dans la sous-traitance horlogère. « C’est un métier très technique, qu’il apprécie énormément. Toute la famille est passionnée de montres », confie Carole. Mais son accident bouleverse sa vie. Diego doit réapprendre à lire et à écrire. « Par contre, il reste très doué en mathématiques. Peut-être parce qu’il a toujours beaucoup aimé tout ce qui était logique », suppose Carole. Son comportement a changé depuis sa lésion cérébrale. Sa mère le trouve « plus sérieux ». Il doit parfois réfléchir plus longtemps pour effectuer certains gestes du quotidien. Il souffre également de fatigabilité, ce qui l’empêche de travailler à plein temps dans une structure non adaptée à ses besoins. « Il est important de rester attentif à ses séquelles et de l’écouter. Cela ne serait pas possible pour Diego d’avoir un emploi dans une entreprise classique. Il faut se montrer prudent et trouver le juste équilibre », affirme Carole.

En 2020, Diego commence à travailler à la Fondation Polyval, à Payerne. Travailler dans une structure adaptée et à un faible pourcentage lui fait beaucoup de bien. « C’est en discutant avec plusieurs personnes du corps médical que j’ai eu l’idée de créer un atelier protégé. Il n’existait pas de structure pour les séquelles cognitives acquises là où nous habitons », confie Carole qui ajoute : « Quand les personnes touchées sortent de réadaptation, il existe un risque qu’elles perdent les progrès réalisés, car elles ne sont plus actives. »
 

Un travail adapté

L’Association 2015 a pour but d’offrir aux personnes en situation de handicap un cadre de travail adapté, dans une petite structure. « Nous laissons la possibilité aux bénéficiaires d’adapter leur pourcentage en fonction de leurs capacités », explique la maman de Diego. Dans l’atelier ouvert quatre après-midi par semaine, huit personnes travaillent en même temps, au maximum. Les personnes peuvent essayer différentes tâches et choisir celle leur convenant le mieux. Diego est responsable de l’atelier et gère les stocks. Il fait très attention aux bénéficiaires et n’hésite pas à discuter avec elles et eux s’il voit qu’elles et ils éprouvent des difficultés. « Nous comprenons la fatigabilité dont souffrent les personnes concernées. De plus, nous respectons leur rythme, nous les valorisons et les encourageons », déclare Carole.

Les personnes touchées subissent souvent une grande fatigabilité. Carole explique : « Ce handicap invisible a des conséquences sur leur régularité au travail. Elles peuvent peiner à effectuer chaque jour de nouvelles tâches. La fatigabilité représente un obstacle au travail. » De nombreux employeurs ne sont pas sensibilisés à cette problématique et n’adaptent ni la charge de travail, ni le temps de travail. C’est pour cette raison que Carole avait à cœur de proposer une structure adaptée aux personnes en ayant besoin.
 

Garder espoir grâce à FRAGILE Suisse

Malvina, la fille de Carole, s’est énormément renseignée suite à la lésion cérébrale de son frère. C’est elle qui a parlé de FRAGILE Suisse à sa mère. Elles ont rencontré plusieurs fois Christine Jayet-Ryser, psychologue et conseillère sociale. Ces rencontres les ont énormément aidées. « Je me souviendrai toujours de la fois où elle m’a dit qu’un traumatisme cranio-cérébral ne dégénère pas. Cette phrase nous a portés tout au long du parcours de Diego », confie Carole.

« Nous avons eu aussi des contacts avec Philippe Vuadens, le président de FRAGILE Valais, qui travaillait à l’époque à la clinique romande de réadaptation de la Suva. Il a organisé une rencontre entre nous et une autre proche, afin de nous permettre d’échanger sur nos expériences respectives », partage Carole. « Avant d’y aller avec Malvina, nous ne savions pas de quoi nous pourrions parler. Finalement, nous avons discuté tout un après-midi. Nous avions un parcours similaire et cela nous a énormément rassurées dans la direction que nous prenions. »

Pour que le droit à l’autodétermination des personnes concernées se concrétise, des changements et des améliorations dans la politique sociale sont nécessaires. FRAGILE Suisse a publié un manifeste en 2022, présentant cinq revendications, dont la demande aux employeuses et employeurs de fournir du travail et une occupation appropriée aux personnes concernées. Ces propositions de travail doivent être adaptées aux capacités personnelles et prendre en compte les besoins particuliers des personnes touchées. 

Lisez notre manifeste ici.

Texte : Megan Baiutti