FRAGILE Suisse : Madame Riemer-Kafka, quels sont les obstacles auxquels les personnes touchées par une lésion cérébrale sont confrontées ? Et que peut faire la politique ?
Gabriela Riemer-Kafka : la principale difficulté est de trouver un emploi adapté et une employeuse ou un employeur compréhensif. Les personnes concernées y sont confrontées, de la candidature, même s’il n’est pas obligatoire de révéler une atteinte à la santé, jusqu’au licenciement. Cependant l’opposition de la politique se manifeste très vite si l’on veut introduire, dans la règlementation, des contraintes supplémentaires en faveur des employé·e·s en situation de handicap, comme un quota d’embauche ou une protection contre le licenciement plus stricte. Afin de promouvoir la diversité au travail, la politique et les partenaires sociaux devraient, en utilisant tous les moyens disponibles, encourager et aider les employeuses et les employeurs à embaucher également des personnes en situation de handicap.
La révision partielle de la Loi sur l’égalité pour les personnes handicapées (LHand) montre que le Conseil fédéral souhaite renforcer la protection contre la discrimination. Mais cette révision est insuffisante. Quels sont les changements importants prévus ? Où est-il nécessaire d’agir ?
Il faudrait, en premier lieu, intégrer le droit privé du travail dans la LHand. D’une part, il existe des droits que l’on peut faire valoir en justice pour obliger l’employeuse ou l’employeur à prendre des mesures adéquates afin d’éliminer la discrimination. D’autre part, les entreprises qui pratiquent la discrimination à l’embauche, sur le lieu de travail, en matière de rémunération ou procèdent à un licenciement abusif, peuvent être menacées de sanctions financières. Ces mesures ne sont pas suffisantes pour assurer l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap. Il reste encore beaucoup à faire en ce qui concerne l’accessibilité de l’espace public et des logements privés, le droit de recours des associations, le droit de participation ou l’absence de contrôle et de sanctions en cas de retard dans la mise en œuvre des mesures exigées.
Inclusion Handicap a préparé une réponse modèle à la procédure de consultation. Avec l’équipe de FRAGILE Suisse, vous l’avez complétée et déposée. Quels ont été les principaux défis de cette tâche et qu’en attendez-vous ?
Les corrections que nous avons apportées concernent principalement les propositions du projet de révision, qui n’améliorent pas fondamentalement la situation juridique existante. Il s’agit de l’interdiction de la discrimination, du droit à des aménagements appropriés du poste de travail ainsi qu’à des indemnisations. Une meilleure insertion professionnelle passe par l’inscription de mesures spécifiques dans la loi, par des incitations pour les employeuses et les employeurs sous forme d’allègements financiers et d’aides financières allant au-delà des contributions institutionnelles, comme c’est le cas dans d’autres domaines tels que le sport, la culture etc. J’espère que nos propositions seront prises en compte dans le débat politique et peut-être même dans la loi.
Personnellement, que souhaitez-vous que la politique fasse pour les personnes touchées par une lésion cérébrale?
Je souhaite que la politique reconnaisse que les personnes touchées par une lésion cérébrale ou par tout autre handicap veulent et peuvent apporter, dans la mesure de leurs possibilités, une contribution précieuse à notre société. Je souhaite qu’elles ne soient plus considérées uniquement comme un facteur de coût mais aussi comme des membres de notre société et que les termes du préambule de notre Constitution fédérale soient mis en pratique, notamment que la force de notre communauté se mesure au bien-être des plus faibles. Le bien-être signifiant aussi se sentir intégré.
Il existe différentes bases légales. Quelles mesures permettent d´améliorer les opportunités d’emploi pour les personnes touchées par une lésion cérébrale ? Est-ce que les mesures existantes sont suffisamment efficaces ? Quelles sont les éventuelles lacunes ?
En ce qui concerne les handicaps physiques ou psychiques, les mesures peuvent être toutes sortes d’aménagements du poste de travail. En cas de problèmes cognitifs et psychiques, la flexibilité des horaires et du rythme de travail, le coaching professionnel, le travail à domicile ou le télétravail sont des mesures appropriées. L’assurance-invalidité propose l’adaptation du poste de travail, le conseil, le coaching professionnel, le placement à l’essai ou les allocations d’initiation au travail. L’assurance-chômage propose, elle aussi, des allocations d’initiation au travail. Indépendamment des prestations d’assurance, toute personne employée peut invoquer la protection de la personnalité et de la santé, ancrée dans le droit relatif au contrat de travail et dans la loi du travail, mais elle risque alors d’être licenciée. Il faudrait cependant, pour compléter l’offre existante, proposer des incitations aux employeuses et employeurs pour qu’ils engagent ou maintiennent en poste des personnes en situation de handicap : allègements fiscaux ou autres, conseil, coaching professionnel, prix d’engagement social, etc.
La révision partielle de la LHand fait naître l’espoir et suscite des attentes chez les personnes touchées par une lésion cérébrale ou d’autres handicaps. Pourquoi recommandez-vous une certaine prudence à cet égard ? Et comment éviter les déceptions ?
Les mesures prévues dans la révision de la LHand n’améliorent pas fondamentalement la situation des personnes touchées par une lésion cérébrale. D’une part, les mesures et les programmes d’encouragement visant à améliorer l’intégration ne sont pas contraignants et d’autre part, la priorité est donnée au soutien des personnes touchées par un handicap de la parole, de la vue ou de l’ouïe, et de leurs organisations. De plus, il revient aux personnes concernées de porter plainte contre les discriminations dans le domaine du travail. En général, elles n’en ont pas la force et, par ailleurs, le droit de recours des associations est limité aux atteintes à la personnalité. La révision partielle ne prévoit pas non plus d’attribuer au Bureau fédéral de l’égalité pour les personnes handicapées, la compétence et les instruments nécessaires pour contrôler l’application de la loi.
Concrètement, La loi sur le handicap (LHand) prévoit que les personnes en situation de handicap ne peuvent être « refusées » par une employeuse ou un employeur, en raison de leur handicap. Mais cette loi peut être facilement contournée. Pourquoi ?
L’un des aspects du droit relatif au contrat de travail, plutôt libéral dans notre pays, est qu’il ne reconnait à personne une prétention à être engagé. L’employeuse ou l’employeur est entièrement libre de choisir parmi les candidatures. Certes, un droit à la motivation du refus est prévu, mais il sera difficile, en raison de la diversité des motifs possibles, d’apporter la preuve d’un refus exclusivement dû au handicap.
À votre avis, quelles actions politiques FRAGILE Suisse et d’autres organisations de personnes handicapées peuvent-elles mener ?
L’action politique de FRAGILE Suisse consiste à sensibiliser l’opinion publique et la politique aux besoins particuliers des personnes touchées par une lésion cérébrale. En outre, l’une de nos missions est d’informer et de sensibiliser le grand public sur les handicaps très divers, souvent « invisibles », par le biais de cours ou de campagnes, tout en évoquant la nécessité d’une éventuelle expertise médicale. Par ailleurs, il incombe à FRAGILE Suisse de proposer des mesures efficaces pour améliorer l’intégration des personnes touchées par une lésion cérébrale dans le monde du travail et dans la société.
Comment ces personnes peuvent-elles être mieux protégées ?
Les personnes en situation de handicap, en particulier celles qui sont touchées par une lésion cérébrale, n’ont en réalité pas besoin d’être mieux protégées, mais elles ont besoin de plus de soutien et d’empathie de notre part, de la part de la société et du monde du travail.
Comment y contribuez-vous personnellement ?
J’apporte ma contribution personnelle par mon engagement actuel au sein de FRAGILE Suisse, par des publications scientifiques, et actuellement par ma participation à un projet scientifique de la fondation Recherche suisse pour paraplégiques, pour une meilleure intégration dans la vie professionnelle des personnes touchées par une lésion cérébrale. J’y ai aussi contribué lorsque j’étais titulaire d’une chaire à Lucerne, en engageant, entre autres, des personnes touchées par une lésion cérébrale.
Interview : Carole Bolliger