«Le retour à la normale prend du temps»

Quels sont les effets de la situation liée au coronavirus sur les personnes cérébrolésées? Nous avons interviewé à ce sujet la neuropsychologue Martina Hoffmann.

Quels sont les effets de la situation liée au coronavirus sur les personnes cérébrolésées? Nous avons interviewé à ce sujet la neuropsychologue Martina Hoffmann.


La Suisse est encore sous le choc de la pandémie due au coronavirus. La vie tourne au ralenti, et semble parfois s’arrêter. Quels sont les effets de cette situation sur les personnes cérébrolésées? Nous avons interviewé à ce sujet la neuropsychologue Martina Hoffmann.

Interview: Carole Bolliger

Martina Hoffmann, la situation liée au coronavirus est une épreuve pour tout le monde. Est-elle encore plus difficile pour les personnes cérébrolésées?

On ne peut pas généraliser, car cela dépend considérablement de la situation personnelle. Les avis sont partagés: beaucoup de personnes cérébrolésées estiment que la situation actuelle a un aspect positif. Tout est un peu plus calme, plus lent, ce qui leur convient. Elles n’ont pas de rendez-vous ni d’obligations sociales. Beaucoup ont maintenant le courage de dire comment elles se sentent. En ce moment, il est socialement admis de dire qu’on a peur, que la situation vous dépasse, qu’on a des soucis professionnels ou financiers.

Il y a sans doute aussi des aspects négatifs?

Bien sûr qu‘il y a des aspects négatifs. Pour beaucoup de personnes cérébrolésées, faire face à la situation actuelle est un véritable défi. Les personnes qui sont seules et qui ont besoin de contacts et d’échanges avec les autres, par exemple dans un groupe d’entraide, sont encore plus isolées. Les familles ayant des enfants d’âge scolaire et qui doivent assurer une partie de l’enseignement à domicile ont elles aussi une tâche très exigeante. C’est très difficile d’organiser la vie, et le poids à porter est très lourd. J’entends souvent certaines personnes dire qu’elles n’ont pas assez de possibilités de prendre de la distance, de se ressourcer. Beaucoup de personnes cérébrolésées ont besoin de pauses pour pouvoir reprendre des forces et récupérer de l’énergie. Elles n’y parviennent plus en ce moment. Enfin, les personnes qui, en «temps normal», nécessitent un soutien et des structures d’accueil souffrent beaucoup de la situation actuelle.

Quels sont les problèmes rencontrés par les personnes cérébrolésées qui cherchent un appui auprès de votre cabinet?

Le fait de ne pas savoir comment la situation va évoluer est éprouvant pour tout le monde, pas seulement pour les personnes cérébrolésées. Cependant, elle est particulièrement difficile pour elles, qui ont particulièrement besoin d’une routine et d’un quotidien réglé minutieusement. Nous voyons donc en ce moment beaucoup de personnes cérébrolésées qui nécessitent une aide pour mettre en place de nouvelles routines et structurer leur vie quotidienne. Comment organiser la journée, faire les achats, s’occuper des enfants, etc.? Les personnes cérébrolésées cherchent aussi une aide pour surmonter leurs soucis et leurs craintes, par exemple au sujet de leur situation professionnelle ou de leur santé.

Est-ce que les personnes cérébrolésées vous consultent plus qu‘à l’ordinaire?

En menant une vie au ralenti ou une vie retirée, de nombreuses personnes n’ont besoin de très peu ou d’aucune aide. En revanche, nous devons être beaucoup plus présents pour d’autres personnes, car elles ont besoin d’un soutien concret dans la vie quotidienne ou affrontent des difficultés d’ordre psychique. Nous sommes plus souvent en contact avec ces personnes, par téléphone ou visioconférence, pratiquement tous les jours si nécessaire. Je trouve qu’il est très important de maintenir des prestations professionnelles sous une forme ou une autre. Pour y parvenir, il faut se montrer inventif et recourir aussi à des solutions inhabituelles. Nous avons par exemple mis sur pied un groupe d’échanges par visioconférence qui a réuni sept personnes. Cette initiative s’est révélée une expérience gratifiante pour tous les protagonistes, même si elle a sans doute paru plus astreignante qu’une réunion à laquelle on participe physiquement.  

FRAGILE Suisse et les autres organisations ont dû interrompre les cours, les manifestations et les groupes de parole pour les personnes cérébrolésées et leurs proches. La possibilité d’échanger avec autrui manque à beaucoup de personnes. Comment peuvent-elles combler ce vide?

Il est sans aucun doute bénéfique que, dans la mesure du possible, les membres des groupes de parole restent en contact et aient des échanges entre eux. J’encourage aussi les personnes cérébrolésées à entretenir des contacts personnels, par téléphone, ou aussi avec leurs voisins, à condition de respecter les règles de distance sociale. En outre, FRAGILE Suisse a mis en ligne beaucoup d’informations utiles sur son site internet. D’autres organismes, comme par exemple Info-entraide Suisse, ont également adapté des prestations en rapport avec la situation liée au coronavirus.

Que conseillez-vous de manière générale pour ne pas perdre pied pendant une telle crise?

Si possible, il est préférable de structurer ses journées comme avant. Il ne faut pas forcément suivre un schéma rigide, mais c’est sans doute une bonne chose de prévoir comment la journée va se dérouler. Il est également important d’être à l’écoute de soi-même et de faire des choses qui vous font du bien. Je recommande de doser les informations sur le coronavirus. Bien sûr, il faut s’informer sur la situation, mais en limitant le temps qu’on y consacre, afin de ne pas se laisser submerger.

Un jour, la situation extraordinaire prendra fin. Comment faire pour renouer le mieux possible avec la vie «normale»?

Il faut savoir que le «retour à la normale» prend du temps. Le corps et l’esprit ont besoin de temps pour retrouver leur équilibre. Il est donc important de se ménager. Il peut être aussi utile et bénéfique de réfléchir à l’avenir dès maintenant: Qu’est-ce qui est important pour moi? Qu’est-ce que j’ai appris, pendant cette période, qui pourrait aussi m’aider pendant la vie «normale»? On a peut-être fait certaines découvertes dont on pourrait profiter dans la vie de tous les jours.

(Remarque de la rédaction: cette interview a eu lieu avant Pâques. La situation peut avoir changé jusqu’à la publication de l’article.)