« Le choc m’a catapulté 30 mètres plus loin. » Kevin Lötscher est assis dans la salle à manger de sa charmante maison, avec vue sur la pittoresque ville de Morat. Lorsque le jeune homme, âgé de 36 ans, commence à raconter son histoire, l’autrice de ces lignes reste suspendue à ses lèvres, souriant ou frémissant selon les moments.
Samedi 14 mai 2011. Un jour normal pour beaucoup, mais un jour fatal pour Kevin. Après avoir participé aux championnats du monde avec l’équipe nationale suisse, le joueur de hockey sur glace professionnel profite de quelques jours de repos chez lui, en Valais, avec sa famille. Il marche, lorsqu’une jeune conductrice ivre le percute sur le trottoir et le projette en l’air. « Elle roulait à 85 km/h lorsqu’elle m’a percuté. »
Il n’a aucun souvenir de l’accident, ni des deux semaines précédant l’accident. Un traumatisme cranio-cérébral sévère est diagnostiqué. Il est placé 12 jours dans un coma artificiel. « J’ai survécu à l’accident grâce à mon excellente forme physique », ajoute-t-il posément. Il parle avec beaucoup de franchise : « Je veux remonter le moral des autres. » Il le fait en participant comme intervenant à diverses manifestations, et aussi à travers son livre paru récemment « GLACE NOIRE ». Aucun autre titre ne pouvait mieux décrire la vie de Kevin Lötscher.
Plus assez bon
« Tout était effacé de mon disque dur. Mes capacités de coordination étaient lamentables, j’ai dû tout réapprendre, comme un enfant. Je ne pouvais plus ni marcher ni manger seul, je ne savais plus comment on se lave les dents ou ce qu’on fait avec un sachet de thé », sourit-il un bref instant malgré le récit tragique. Âgé aujourd’hui de 36 ans et père de deux enfants, le jeune homme raconte son histoire de manière naturelle, directe et authentique, avec un air espiègle. « J’étais surtout heureux d’être encore en vie. Et quand les médecins m’ont dit relativement vite que je pourrais peut-être retourner sur la glace, j’avais un but très clair. » Il veut revenir au plus haut niveau et il fait tout pour y parvenir. Rien ne peut lui faire obstacle et il n’est pas question de renoncer. « Il y a eu des moments difficiles, mais je voulais retrouver ma vie d’avant. Je me disais aussi que ça aurait pu être bien pire. » Sa famille n’a jamais cessé de lui apporter un soutien inconditionnel.
« J’essaye de vivre ici et maintenant et de profiter de chaque moment. »
À peine trois mois après son accident et alors âgé de 23 ans, il est de retour sur la glace à Loèche-les-Bains – là où sa passion pour le hockey sur glace était née. C’est un moment chargé d’émotion. « C’était tout simplement merveilleux. Mais j’ai aussi réalisé que le chemin serait long. » Il le sera en effet. Certes, il réintègre la plus haute ligue de hockey de Suisse, mais bien qu’il soit physiquement en forme, il ne parvient pas à renouer avec ses meilleures performances sur la glace. Son intelligence tactique et sa capacité de réaction ont diminué. Sa personnalité change. « J’étais tellement frustré que je faisais du mal à des personnes qui m’étaient très chères », raconte-t-il, pensif, en regardant par la fenêtre avec tristesse. Il dit ne pas avoir toujours pris les bonnes décisions et ajoute : « Je ne m’aimais plus moi-même. » À ce moment-là, il comprit : « Maintenant, c’est fini. »
En 2014, il annonce sa retraite sportive, une décision très difficile mais inéluctable. Il ressent tout d’abord « un grand soulagement ». Mais ensuite, vient l’effondrement, la chute brutale. Kevin Lötscher sombre dans une profonde dépression, ses nerfs craquent. « J’étais dans un grand trou noir, je n’avais plus de but et je me sentais seul. Tout à coup, ma vie n’avait plus aucune structure. » S’ensuit une longue phase très difficile. Différentes thérapies l’aident à se retrouver et à mieux connaître sa nouvelle personnalité. Sa famille et ses amis le soutiennent aussi. « Ils ont joué le rôle le plus important. Sans eux, je ne serais peut-être plus là aujourd’hui. » Peu à peu, il aperçoit de la lumière au bout du tunnel. « Je voulais retrouver la joie de vivre et l’apaisement. »
Ce n’est pas grave quand on ne se sent pas en forme
Treize ans après le tragique accident, il est aujourd’hui apaisé : « J’essaye de vivre ici et maintenant et de profiter de chaque moment. » Kevin Lötscher rit beaucoup et a des idées originales plein la tête : « Exactement comme celui que j’étais avant », dit-il radieux. Après la fin de sa carrière de joueur de hockey, il s’essaye comme jardinier, vendeur et diététicien. Puis, il découvre sa véritable passion en fondant sa propre entreprise « SORGHA ». Ce nom vient du dialecte alémanique. « Sorgha » correspond à « Sorge haben », prendre soin (de soi). Il a un message central : prendre soin de soi. « Je veux partager mon expérience avec d’autres personnes et leur dire : Ce n’est pas grave quand on ne se sent pas en forme. » Ce sympathique Valaisan veut remonter le moral des autres et montrer que « la vie continue et que tout peut s’arranger ». Aujourd’hui encore, il est confronté aux séquelles du traumatisme cranio-cérébral. Il se fatigue plus rapidement et a besoin de pauses. Après une journée à s’occuper de ses deux fils, il est « complètement lessivé ».
Il aimerait aussi que la lecture de son livre « GLACE NOIRE » remonte le moral d’autres personnes. « J’ai souvent pensé à écrire mon histoire, mais je n’avais pas le courage. » Le déclic se fait grâce à un contact avec la journaliste et autrice Nadine Gerber. « Nous nous sommes rencontrés en janvier, j’ai pris ma décision en février et nous avons remis le manuscrit en juin de l’année dernière », raconte-t-il. Raconter son histoire et en revivre toutes les phases et les moments n’a pas toujours été facile : « Mais cela m’a aidé à surmonter ce qui s’est passé et à lâcher prise. C’était une phase très intensive, mais salutaire. » Succès éditorial, le livre se place rapidement parmi les meilleures ventes. En janvier, Gesichter & Geschichten, émission de télévision suisse alémanique, lui décerne le prix « G&G Mutmacher des Jahres » (L’émission décerne des prix dans différentes catégories, entre autres celle de la personnalité de l’année qui remonte le moral des autres (Mutmacher des Jahres). Un prix mérité par ce jeune homme porteur d’espoir, souriant, combatif et qui a la tête pleine d’idées originales.
En racontant son histoire, Kevin Lötscher veut remonter le moral d’autres personnes et manifester sa solidarité. C’est pourquoi, pour chaque livre vendu, il a décidé de faire un don d’un franc à FRAGILE Suisse et il s’engage aussi comme ambassadeur officiel de l’organisation. « Tout le monde n’a pas ma chance. C’est pourquoi je veux être solidaire et aider les personnes concernées », explique-t-il.
Texte : Carole Bolliger