FRAGILE Suisse : les personnes jeunes sont-elles plus à l’abri des lésions cérébrales que les personnes âgées ?
Nicole Naumann : il faut savoir qu’une lésion cérébrale peut survenir à tout âge. Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) touchent le plus souvent les personnes âgées. Chez les personnes plus jeunes, les lésions cérébrales sont plutôt provoquées par des maladies auto-immunes inflammatoires. Les méningites infectieuses peuvent se déclarer à tout âge, comme c’est le cas pour la méningo-encéphalite à tiques, transmise par la piqûre des tiques. Comme les personnes âgées ont un système immunitaire affaibli, l’évolution d’une maladie infectieuse du cerveau peut être plus grave. Quant aux lésions cérébrales d’origine traumatique, elles sont en général causées par des chutes chez les personnes âgées. Chez les plus jeunes, elles sont plutôt liées à des accidents survenus pendant la pratique d’un sport ou d’une activité de loisirs ou encore à des accidents de la circulation.
Comment les lésions cérébrales affectent-elles la vie de personnes jeunes ?
Cela dépend de la gravité du handicap cognitif, psychique et physique. La fatigabilité est un symptôme fréquent. Ce qui, autrefois, faisait plaisir, par exemple les sorties entre ami·e·s ou les réunions familiales, devient tout à coup un fardeau. Les patient·e·s se plaignent d’une sensibilité accrue aux stimuli, en particulier au bruit, si bien qu’aller dans un restaurant est plutôt ressenti comme un effort à fournir que comme un plaisir. Les accès de fatigue imprévus obligent fréquemment à annuler des rendez-vous à la dernière minute, ce qui peut avoir un impact négatif sur les contacts sociaux.
Les problèmes de concentration et de mémoire rendent difficile la communication ou la reconstitution du contenu de la conversation. Des liens amicaux et des relations peuvent alors se rompre, ce qui, par un phénomène de spirale négative, conduit à l’isolement de patient·e·s, qui se retirent alors complètement de la vie sociale.
Les domaines de la formation et du travail sont eux aussi semés d’obstacles. Les assurances sociales font de leur mieux pour que la réinsertion professionnelle réussisse, grâce aux aides destinées aux employeurs et employeuses. Elle reste cependant un défi. La situation est particulièrement difficile lorsque le retour à l’ancien poste n’est plus possible et qu’il faut trouver un nouvel emploi. Toutes les personnes impliquées doivent alors faire preuve de beaucoup de souplesse et de tolérance. A l’heure actuelle, les employeurs et employeuses, tout comme les employé·e·s, sont pris en étau entre la concurrence, la productivité et l’efficience. Cette pression peut amener les employeurs et employeuses à ne pas embaucher une personne touchée par une lésion cérébrale, malgré les aides des assurances sociales. En ce qui concerne les perspectives professionnelles et les possibilités de faire carrière sur le marché du travail primaire, les personnes victimes de lésions cérébrales sont désavantagées. Je suis d’avis que des progrès peuvent encore être faits dans le domaine de la réinsertion professionnelle.
Quelles sont les séquelles psychologiques d’une lésion cérébrale chez les personnes jeunes ?
Quel que soit leur âge, les personnes touchées par une
lésion cérébrale présentent souvent des troubles psychiques. La dépression peut avoir des causes organiques. Une instabilité affective d’origine organique peut aussi apparaître, sous la forme de brusques éclats de rire et de pleurs sans raison apparente. La dépression peut également se déclarer suite à une lésion cérébrale, car il n’est pas facile d’en gérer les séquelles ni de s’accoutumer à des conditions de vie totalement nouvelles.
Comment FRAGILE Suisse aide-t-elle les jeunes concerné·e·s dans leur réinsertion professionnelle ?
Il existe des prestations de conseil et une Helpline. Des professionnel·le·s traitent les demandes des personnes concernées, répondent à leurs questions ou les orientent vers un service spécialisé. FRAGILE Suisse travaille avec les proches, l’entourage immédiat et les services spécialisés pour garantir la meilleure prise en charge possible.
La prestation « Un guide à vos côtés » soutient une réinsertion individuelle et durable des personnes concernées, dans la vie sociale et professionnelle. Le but poursuivi est de les aider à acquérir de nouvelles compétences qui leur permettront de retrouver une vie autodéterminée.
Quels espoirs formulez-vous pour les jeunes concerné·e·s et quels changements souhaitez-vous ?
Je souhaite que la société et la politique fassent davantage d’efforts pour offrir des perspectives professionnelles aux jeunes concerné·e·s. Vivre avec une lésion cérébrale ne signifie pas ne plus pouvoir travailler. Certaines adaptations sur le lieu de travail sont peutêtre nécessaires, mais il faut surtout que les personnes concernées aient une chance réelle et qu’il y ait plus d’emplois pour elles sur le marché primaire du travail.
Est-ce exact que les personnes âgées sont plus souvent touchées par des lésions cérébrales ?
Si on entend par lésion cérébrale une atteinte structurelle du cerveau, alors le terme englobe aussi bien les lésions traumatiques que les atteintes du cerveau dues à une hémorragie cérébrale, à un problème de circulation sanguine, à une inflammation ou bien suite à des processus néoplasiques, comme dans le cas d’une pathologie tumorale. Les causes possibles des lésions cérébrales étant multiples, il est difficile d’affirmer de manière générale, qu’elles apparaissent plus fréquemment chez les personnes âgées ou plutôt jeunes, cela dépend de la cause en question.
En quoi les défis qui se présentent aux personnes jeunes, se distinguent-ils de ceux que rencontrent les personnes plus âgées ?
Les personnes jeunes sont souvent engagées dans la vie active et, pour certaines d’entre elles, sont en train de fonder une famille lorsque le drame se produit. La réinsertion professionnelle constitue un défi particulier. Les séquelles invisibles d’une lésion cérébrale rendent notamment ce processus difficile. Les problèmes de concentration, les troubles de la mémoire, la fatigue, l’irritabilité accrue, l’hypersensibilité et parfois un changement de personnalité sont des symptômes qui peuvent survenir après une lésion cérébrale. Dans notre société axée sur la performance, ces symptômes sont un véritable défi, non seulement pour les patient·e·s et leurs proches, mais aussi pour les employeuses et les employeurs.
Les personnes âgées souffrent de symptômes comparables, mêmes si elles ne sont peut-être plus engagées dans la vie active. Des troubles de la concentration/de la mémoire par exemple, peuvent apparaître lorsqu’elles doivent effectuer les tâches de la vie courante, comme faire les courses. Ces troubles peuvent aussi augmenter le danger de chutes. Les personnes concernées ne regardent pas bien à leurs pieds, ou sont facilement distraites, ce qui provoque la chute. Une hémiplégie permanente, des troubles de la motricité, de la coordination et du langage peuvent limiter la vie des personnes touchées.
Comment une lésion cérébrale peut-elle impacter la situation financière des personnes concernées et quels sont les risques auxquels celles-ci, en particulier les personnes jeunes, sont confrontées ?
Les assurances sociales ne compensent pas la perte de salaire à 100%. La rente AI est conçue pour garantir le minimum vital, il faut donc s’attendre à une diminution des revenus. Par ailleurs, le montant de la rente est déterminé par le taux d’invalidité. Si une personne est victime d’une lésion cérébrale suite à une maladie, c’est tout d’abord l’assurance-indemnité journalière en cas de maladie qui est compétente, puis l’AI. Les caisses de pension, à condition d’en avoir une, s’alignent souvent sur la décision de l’AI, et leur but est d’assurer le niveau de vie habituel.
Lorsqu’une personne est victime d’une lésion cérébrale à la suite d’un accident, elle perçoit tout d’abord les indemnités journalières de l’assurance-accidents. Plus tard, le montant de la rente de cette assurance est fixé. En règle générale, la personne bénéficie également de prestations de l’AI.
Les indemnités journalières couvrent 80 à 100% du salaire que recevait l’employé·e auparavant. Cela dépend des clauses contractuelles fixées par l’employeuse ou l’employeur avec l’assurance-indemnités journalières lors de la signature du contrat. Les indemnités journalières de maladie s’arrêtent au bout de deux ans environ, les indemnités journalières de l’assurance-accidents peuvent être versées plus longtemps.
Si, dans le cas d’une maladie ayant provoqué une lésion cérébrale, la demande à l’AI a été déposée trop tard, il se peut alors que le versement des indemnités journalières ait pris fin, mais qu’une rente invalidité n’ait pas encore été accordée. Dans ce cas, il est recommandé de se faire conseiller suffisamment tôt, par exemple par le service social de son entreprise, par les services des cliniques de réadaptation ou par les organisations comme FRAGILE Suisse.
Quel rôle jouent les réseaux sociaux et les technologies numériques dans l’aide aux personnes jeunes touchées par une lésion cérébrale ?
Les technologies numériques peuvent être utiles au quotidien. À commencer par le smartphone qui permet aux personnes souffrant de troubles de la mémoire d’enregistrer les rendez-vous avec un système de rappel automatique. Pour les personnes atteintes de troubles du langage et de l‘élocution, il existe différents outils destinés à améliorer la capacité de communication. Un entraînement visant à améliorer les fonctions cognitives peut également être utilisé comme soutien.
Utiliser les réseaux sociaux permet d’entrer en contact et d’échanger avec d’autres personnes concernées.
Comment les familles et les ami·e·s peuvent-ils aider le mieux possible les jeunes concerné·e·s ?
Tout être humain éprouve le besoin fondamental d’avoir sa place dans la société, d’appartenir à un groupe où il se sent valorisé. Il est utile que les jeunes concerné·e·s sentent que, malgré leur lésion cérébrale, ils font encore partie de la société. Même si certaines choses ne sont peut-être plus comme avant.
Il faut faire preuve de compréhension à l’égard des handicaps et des éventuels problèmes physiques, cognitifs et psychiques des personnes concernées. Elles veulent être prises au sérieux et comprises. En particulier, au sujet des séquelles invisibles comme la fatigue et l’épuisement, il est important de savoir que ces symptômes proviennent de la lésion cérébrale et non d’un manque de motivation ou d’intérêt de la personne concernée. Il est parfois utile pour les proches et les ami·e·s (avec le consentement de la personne concernée) de demander des conseils à un·e médecin, à des spécialistes du domaine de la santé, ou à une organisation comme FRAGILE, pour mieux comprendre ce que peut signifier une lésion cérébrale.
Que peut faire la société pour attirer l’attention sur le thème des « lésions cérébrales » et tenir davantage compte des besoins des personnes concernées ?
Il est important de parler des lésions cérébrales et de reconnaître qu’elles peuvent toucher tout le monde. Il faut vaincre les préjugés, les malentendus et les peurs pour pouvoir s’ouvrir aux autres et faire un pas dans leur direction.