Un salon douillet et accueillant: ils sont assis tous les deux sur le canapé. Il lui tient tendrement la main, tandis qu’elle lui jette un regard amoureux: «Nous sommes faits l’un pour l’autre» - une certitude partagée. Pourtant, ils ont dû surmonter bien des obstacles avant que leurs chemins ne se croisent et qu’ils découvrent le grand amour.
Il y a 23 ans, Markus Stadelmann était dans la force de l’âge. Il travaillait comme maçon au service de la voirie d’une autoroute. En août 1998, un accident se produit, et Markus Stadelmann est chargé de sécuriser le périmètre. Le chauffeur d’un camion s’aperçoit trop tard de sa présence et le fauche. Catapulté sur l’asphalte, Markus Stadelmann survit à l’accident par miracle. Le médecin urgentiste lui sauve la vie grâce à une trachéotomie. L’accidenté doit ensuite subir une ablation de la rate et d’une partie des poumons, car l’impact a comprimé les organes internes. Victime d’un grave traumatisme cranio-cérébral, Markus Stadelmann reste deux mois dans le coma. «À un certain moment, j’ai eu une expérience de mort imminente», se souvient-il, et il serre un peu plus fort la main de sa femme. Il a vu une lueur au loin, mais une voix lui a dit de rester, car il existait une raison pour laquelle il devait continuer à vivre. «Aujourd’hui, je sais que j’ai continué à vivre pour pouvoir rencontrer Uschi» - il en est persuadé.
Aujourd’hui, âgé de 64 ans, il ne se souvient plus de l’accident, et de nombreux souvenirs de sa vie passée sont effacés. Markus Stadelmann passe neuf mois en réadaptation et doit réapprendre à marcher, à écrire, à parler. A l’époque, il vit avec sa seconde femme, mais celle-ci est ébranlée par ce coup du sort. Elle commence à boire et lui fait des reproches. «Je me sentais coupable envers ma femme, parce que mon accident avait aussi chamboulé sa vie», se souvient Markus Stadelmann. Il traverse une période très éprouvante: il se replie sur lui-même et perd presque tous ses amis. Il lutte contre la culpabilité, et en oublie de faire face à la réalité, la lésion cérébrale et ses conséquences. «Je n’arrivais pas à comprendre ce qui m’était arrivé, jusqu’à ce que j’entre en contact avec FRAGILE Suisse», constate-t-il. La participation aux groupes de parole pour personnes cérébrolésées l’aide beaucoup. «Pour la première fois, je me suis senti compris, et j’ai réalisé qu’il y avait d’autres personnes dans mon cas.»
Il rencontre le grand amour sans s’en rendre compte
Après quelques mois, Markus Stadelmann recommence à travailler chez son ancien employeur. Cependant, il ne peut plus exercer son métier: on lui confie des activités simples, un emploi protégé en quelque sorte. Rien n’est plus comme avant, sa femme et lui se séparent. Markus Stadelmann lutte pour retrouver sa place dans la vie, mais les séquelles de la lésion cérébrale ne lui rendent pas la tâche facile. Sa mémoire à court terme lui joue des tours, il se fatigue vite et se sent mal à l’aise en société. En 2012, il travaille deux matins par semaine dans une résidence pour seniors. Il intègre aussi le service régional de visite et, avec son chien Maiko, se rend régulièrement chez des personnes âgées. C’est lors d’une de ces visites qu’il y a six ans, il a fait la connaissance d’Uschi, son grand amour, celle qui deviendra sa troisième épouse. Pourtant, la première rencontre tourne court.
A l’époque, Uschi Stadelmann vit avec son premier mari dont elle sera l’épouse durant près de 40 ans. Comme il est atteint de leucémie, elle le soigne pendant huit ans, du mieux qu’elle peut. Elle aussi a des problèmes de santé: elle souffre de rhumatismes depuis sa jeunesse, et sa vue a beaucoup baissé après une opération de la cataracte qui n’a pas réussi. «Je me suis rendu compte que je ne pouvais plus m’occuper seule de mon mari», raconte-t-elle. Comme celui-ci ne veut pas aller à l’hôpital ou dans un EMS, elle parvient à le faire entrer dans une résidence pour personnes âgées, en attendant de trouver une solution plus adaptée. Le sort en décide autrement: son mari succombe à sa maladie en avril 2015. Quelques mois plus tard, Uschi Stadelmann rend visite à une infirmière de la résidence avec laquelle elle s’est liée d’amitié. C’est alors que le coup de foudre se produit: elle voit Markus Stadelmann et tombe immédiatement amoureuse. Sa voix tremble d’émotion: «Ses longs cheveux et la douceur de son regard m’ont plu tout de suite.» Pourtant, ce jour-là, il ne lui prête guère attention, et elle n’ose pas lui adresser la parole. Les jours passent, et elle constate que le coup de foudre n’est pas une lubie. Elle essaye alors de découvrir qui est cet inconnu, apprend qu’il travaille pour un service de visite et lui laisse un message. «Quand j’ai reçu son message, j’ai cru que quelqu’un voulait que je lui rende visite», sourit Markus Stadelmann. Quelques jours plus tard, ils se rencontrent. «J’étais sous le charme, ma première impression se confirmait complètement», raconte Uschi Stadelmann les yeux brillants. Elle était tombée amoureuse comme une collégienne. Lui aussi, se sentait attiré par cette femme chaleureuse, sans comprendre ce qui lui arrivait. «Elle m’a conquis avec sa franchise et sa simplicité. C’était la première fois, depuis mon accident, que quelqu’un me manifestait de l’estime», songe-t-il. Il lui explique qu’il a besoin d’un peu de temps et qu’il reprendra contact avec elle. «J’étais sûre que je l’avais bousculé et que je n’entendrais plus jamais parler de lui», dit-elle en riant. Mais, le lendemain, Markus Stadelmann sonne à sa porte, et c’est ainsi qu’a débuté cette histoire d’amour pas comme les autres.
De l’aide et des amis par l’intermédiaire de FRAGILE Suisse
Très vite, ils emménagent ensemble. Uschi Stadelmann retrouve une vue normale et rien ne manque à son bonheur. Pourtant, un nouveau coup du sort se prépare: en mars 2018, elle a un malaise et de violents frissons. Sans forces, elle ne peut ni parler ni penser. L’hôpital diagnostique une méningite. Pendant dix jours, elle est entre la vie et la mort. Dans sa situation, 40 pour cent des patients ne survivent pas. «Je savais que je ne pouvais pas mourir, il y avait quelqu’un pour qui je voulais continuer à vivre», affirme-t-elle en souriant à son mari. Agée aujourd’hui de 61 ans, elle ressent encore les conséquences de sa méningite: elle n’entend plus de l’oreille gauche, se fatigue très vite et ne peut plus se concentrer longtemps. Elle souffre souvent de vertiges et doit donc se servir de cannes ou d’un déambulateur ou encore prendre le bras de son mari. Malgré leurs lésions cérébrales et les séquelles avec lesquelles ils doivent lutter chaque jour, Uschi et Markus Stadelmann sont heureux et reconnaissants de s’être rencontrés. Ils font face ensemble à leur destin. Tous deux participent régulièrement aux réunions des groupes de parole de FRAGILE Aargau. Accueillis avec compréhension, ils y ont noué de solides amitiés avec d’autres personnes cérébrolésées. Ce sont des habitués des week-ends pour couples de FRAGILE Suisse, ils suivent les cours de peinture et d’entraînement de la mémoire et sont de fervents adeptes de la semaine de jeu. Toutes les trois semaines, Markus Stadelmann bénéficie du soutien d’une professionnelle de l’Accompagnement à domicile qui l’aide pour les tâches administratives. Le couple déclare à l’unisson: «FRAGILE Suisse est formidable, son aide est inestimable.» Ils sont heureux et satisfaits de la vie. «Pour couronner le tout, nous nous sommes mariés au mois de juin de l’année dernière» rayonne Uschi Stadelmann, tandis que son mari lui caresse affectueusement la main.
Interview: Carole Bolliger